Mohamed Radi Ellili
Le 13 novembre 2020, l’Armée Royale Marocaine est intervenue dans la zone démilitarisée d’El Guerguerat pour disperser une manifestation pacifique de 60 Sahraouis qui barricadait le passage frontalier avec la Mauritanie, par où sont exportées les ressources naturelles illégalement exploitées par le Royaume du Maroc dans le Territoire Non Autonome du Sahara occidental. Par cet acte, le cessez-le-feu entré en vigueur en septembre 1991, suite au déploiement de la Mission des Nations Unies pour le Référendum au Sahara occidental (MINURSO), a été rompu. Le conflit armé entre le Royaume du Maroc et le Front Polisario a ainsi repris. Depuis lors, les tensions dans le Territoire Non Autonome se sont intensifiées en représailles, les civils et un nombre croissant d’activistes sahraouis étant pris pour cible par les forces de sécurité de la Puissance occupante. L’intensification de la répression a rendu la vie quotidienne dans le territoire occupé encore plus difficile et a entraîné une augmentation inquiétante des violations systématiques et graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire, avec un impact particulier sur les droits civils et politiques. Cette situation a été dénoncée par les organisations internationales de surveillance des droits de l’homme et par divers Rapporteurs spéciaux des Nations unies tout au long de l’année. Ce rapport, coordonné par Federació ACAPS et Novact et soutenu par le Groupe de soutien de Genève pour la protection et la promotion des droits de l’homme au Sahara occidental, quantifie et contextualise 160 violations des droits civils et politiques – une violation des droits de l’homme tous les deux jours – qui ont eu lieu Résumé exécutif au cours de l’année dernière, avec une attention particulière à celles qui ont eu un impact sur les femmes et les mineurs, spécifiquement protégés par le droit humanitaire international. Il s’agit uniquement des cas et des témoignages qui ont été portés à l’attention par une vingtaine de défenseurs et défenseures sahraouies des droits de l’homme ou qui sont inclus dans les rapports périodiques d’organisations locales et internationales telles que l’AFAPREDESA, Isacom ou Codesa. Parmi les violations les plus fréquentes qui ont eu lieu cette année, il y a les restrictions à la liberté d’expression et de mouvement, l’intimidation, le harcèlement, les menaces de mort, la criminalisation, les agressions physiques et sexuelles, les menaces de viol, le mauvais traitement des prisonniers et la “surveillance” physique et technologique, qui se produisent dans le contexte d’une très grave expansion quantitative et qualitative de l’utilisation de mécanismes tels que la détention arbitraire, y compris l’assignation à résidence arbitraire. A leur tour, ces attaques ont lieu dans un contexte de limitation préalable des libertés, profitant des mesures restrictives dues à la pandémie de COVID 19, qui avait déjà contribué à expulser l’activisme sahraoui et ses revendications de l’espace public. Parmi tous les cas, celui des sœurs défenseures des droits humains et femmes Sultana et Louaara Khaya, assignées à résidence depuis plus d’un an et qui ont subi plus d’une dizaine d’agressions de la part des forces de sécurité marocaines, dont des agressions physiques et sexuelles et deux viols, se distingue particulièrement. Visibiliser l’occupation au Sahara occidental · Résumé exécutif Sur la base des violations documentées, le rapport présente les conclusions suivantes: 1. La reprise du conflit armé a été utilisée pour sécuriser davantage la vie quotidienne de la population sahraouie, en particulier la population nomade dans les zones désertiques ; il est fait état d’actes qui pourraient être considérés comme de graves violations du droit humanitaire, tels que des attaques aériennes contre des civils, le déplacement forcé de la population ou la dépossession des moyens de survie par le massacre du bétail et des dromadaires. 2. De nouvelles formes de protestations et de campagnes de masse adaptées au contexte des restrictions COVID 19, telles que le déploiement de drapeaux sahraouis depuis le domicile, ont donné lieu à des formes de violations et de répression spécifiques au contexte, avec un impact particulier sur la sphère privée, telles que l’abus répété de l’assignation à résidence sans décision de justice ou l’ingérence illégale dans le domicile, l’agression physique dans l’espace privé et même le harcèlement et les agressions sexuelles. 3. Il y a un net équilibre entre les sexes en ce qui concerne les violations des droits humains, les hommes représentant 61,3% des personnes ayant subi de tels impacts et les femmes 38,7%. En outre, il y a parmi eux 20 mineurs, qui relèveraient de la protection supplémentaire de la Convention internationale sur la protection des droits de l’enfant. 4. Il existe une incidence très élevée de violations étroitement liées à la répression du droit de réunion et de manifestation pacifique et de la liberté d’expression, telles que la dissolution de manifestations par des agressions physiques et des détentions arbitraires, qui constituent ensemble près de 2/3 des violations documentées. 5. Près de vingt plaintes pour torture ont été recueillies, auxquelles s’ajoutent d’innombrables récits de traitements dégradants et inhumains, comme la pratique consistant à abandonner les militants dans des zones reculées après les avoir soumis à des violences physiques et psychologiques. Ces plaintes pour violations graves du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne sont pas transmises aux institutions prévues à cet effet, de sorte que le cadre d’impunité des auteurs persiste. Tout cela, malgré le nouveau mécanisme national de prévention de la torture que le Maroc a créé en 2018 et dont la mise en œuvre est actuellement financée à 95% par le Conseil de l’Europe. 6. Au cours de l’année écoulée, plusieurs épisodes graves et particulièrement inquiétants d’utilisation de la violence sexuelle comme arme de répression par les forces de sécurité du Royaume du Maroc ont été enregistrés, tant à l’encontre de femmes que d’hommes, dans des contextes d’ingérence dans le domicile, de détention et d’emprisonnement. Il s’agit principalement de menaces de viol dans le cas des hommes et de harcèlement, d’abus et d’agressions sexuels dans le cas des femmes. Ces actes constituent une violation grave des droits des femmes tels qu’énoncés dans la Convention sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes et sa recommandation générale 30, applicable dans les contextes de conflit et d’occupation. Les violations de Sultana et Luaara Khaya, qui ont eu lieu en mai, août et novembre 2021, sont particulièrement graves. Ces actes sont susceptibles de constituer des crimes de guerre sous la protection de la Quatrième Convention de Genève. L’objectif de ce rapport est de témoigner des violations systématiques et graves des droits humains du peuple sahraoui sous occupation marocaine et des violations systématiques et graves des normes du droit international humanitaire. Le rapport se termine par une série de recommandations qui s’adressent à la communauté internationale dans son ensemble (Etats, organisations régionales et ONU) afin que chacun assume ses responsabilités pour que le droit international soit appliqué dans le Territoire Non Autonome du Sahara occidental et que le peuple sahraoui puisse jouir librement de ses droits fondamentaux. Les auteurs du rapport espèrent ainsi contribuer à la mobilisation de la société civile pour la défense des droits du peuple sahraoui vivant dans le territoire occupé par le Royaume du Maroc. Barcelone / Genève / Camp de refugiés de Rabouni
10 décembre 2021